CPER (2001-2010) - Nord Pas de Calais - Phaeocystis
Etude et Observation de l’écosystème côtier de la Manche orientale : le bloom de Phaeocystis et ses effets sur l’écosystème
La Manche, mer à fort hydrodynamisme présente des caractéristiques générales, par exemple les flux de matière de l’Atlantique à la Mer du Nord ou le stockage des carbonates, mais aussi de nombreux caractères spécifiques à un bassin ou une baie. Ainsi les macro algues ne sont présentes en grande quantité que sur les côtes bretonnes, la prolifération des crépidules est, pour le moment, cantonnée au Golfe normano-breton, le flux continental de contaminant n’est important qu’en estuaire de Seine et la prolifération de la prymnésiophycée Phaeocystis n’existe qu’en Manche orientale. Par ailleurs, la présence de Phaeocystis en Manche orientale est, pour l’instant, moins intense qu’en Mer du Nord, cette dernière connaissant de gros problèmes d’eutrophisation.
Le littoral Nord/Pas de Calais montre de nombreux signes de dysfonctionnement de l’écosystème reliés (à tort ou à raison) à l’activité humaine le long des côtes. Ces signes extérieurs sont le plus souvent identifiés comme un envahissement de certaines espèces, tant végétales qu’animales, et constituent une gêne pour les utilisateurs du littoral. Parmi ces espèces envahissantes, Phaeocystis montre une prolifération régulière connue.
Si ce phénomène fait partie des préoccupations de la communauté scientifique de la région Nord/ Pas de Calais, aucune étude n’avait permis, à ce jour, de regrouper les compétences et les résultats déjà obtenus. Il apparaissait donc souhaitable de mener une recherche conjointe qui permettra à la fois de traiter et de valoriser les connaissances acquises, et de les compléter par des études de terrain. Les objectifs de cette étude étaient les suivant :
Comment le bloom printanier de Phaeocystis perturbe t-il l’écosystème côtier de la Manche orientale ? Quel est l’impact de l’apport massif de matière organique sur les compartiments pélagiques, benthiques et sur les flux à leur interface ?
L’étude proposé devrait permettre d’apporter des éléments de réponse quand à la gestion de ce type nuisance, tant en terme de prédiction qu’en terme de résolution. Toutefois, étant donné la nouveauté dans la région de cette problématique, en particulier pour une étude pluridisciplinaire de cette ampleur, il a été nécessaire d’y associer des compétences nationales non représentées dans ce programme. C’est pourquoi, l’ouverture d’un chantier PNEC (Programme National d’Environnement Côtier) a été réalisé sur cette thématique permettent de poursuivre cette étude et d’élargir le champs de compétence impliqué.
Phaeocystis est une espèce connue pour ses capacités de prolifération sur les côtes anglaises de la Manche (Tyler, 1977 ; Lennox, 1979, Jones, 1989) mais également en Mer du Nord (Lancelot et al., 1987, Cadée & Hegeman, 1991 ; Nehring et al., 1995). Ce phénomène est également observé sur la côte du Nord-Pas de Calais chaque année (Hedin-Bougard, 1980 ; Bentley, 1984 ; Maillard-Quisthoudt, 1988 ; Mirlicourtois et al., 1993 ; Migaud et al., 1997 ; Gentilhomme & Lizon, 1998).
Phaeocystis globosa. fait partie des rares espèces phytoplanctoniques montrant une alternance entre des formes unicellulaires libres (taille < 10 µm) et des colonies gélatineuses (taille pouvant atteindre quelques mm), ces formes évoluant suivant un cycle de vie complexe (Kormann, 1955 ; Verity et al., 1988 ; Rousseau et al., 1994). Les colonies gélatineuses sont formées de cellules agrégées dans un mucus constitué de chaînes de polysaccharides et de sels de calcium et de magnésium (Boekel, 1992) et montrent différentes formes évolutives au cours du bloom printanier (Lancelot & Rousseau, 1994).
Ce sont ces mucus qui constituent une nuisance pour les utilisateurs du domaine littoral. Les mousses malodorantes qu’ils forment, en particulier dans un milieu agité (émulsion), sont alors observées en “ laisse de mer ”. La sécrétion de polysaccharides par les colonies est sous le contrôle de la lumière et des sels nutritifs (Lancelot & Billen, 1985 ; Lancelot et al., 1986). Cette sécrétion n’est pas déclenchée par la disparition des sels nutritifs. En effet, en fin de bloom, quand les sels sont limitants, 80% du carbone synthétisé par les colonies est alloué à la formation de polysaccharides, alors que seulement 50% y était alloué en début de bloom (Lancelot, 1983 ; Rousseau et al., 1990).
De nombreux travaux montrent la relation existant entre ces phénomènes et les apports extérieurs en sels nutritifs. Cadée & Hegeman (1991) et Riegman et al. (1990) montrent que les fortes concentrations de nitrate dans le milieu sont à l'origine du bloom de Phaeocystis. Les travaux en culture montrent clairement que la forme unicellulaire libre est plus compétitive que la forme coloniale dans une eau limitée en ammonium et phosphates, alors que la forme coloniale est plus compétitive dans une eau riche en nitrate (Riegman et al., 1992). Rahmel et al. (1995) mesurent des taux d'absorption des nitrates extrêmement forts pendant cette période et suspectent une initiation de ce bloom liée au rapport N/P.
Ces résultats suggèrent que la forme libre de cette espèce domine les systèmes basés sur la production régénérée alors que la forme coloniale dominerait les systèmes basés sur la production nouvelle. La distribution géographique de ces formes conforte cette hypothèse (Booth et al., 1982 ; Thomsen et al.,1994 ; Keller & Haugen, 1996).
Les conséquences de ces phénomènes de prolifération sur l'écosystème sont nombreuses et pas toujours connues. Il est vraisemblable que Phaeocystis influence la succession des autres espèces phytoplanctoniques mais également les niveaux trophiques supérieurs (Lancelot & Rousseau, 1994) et la boucle microbienne (Admirral & Venekamp, 1986 ; Billen & Fontigny, 1987 ; Weisse & Scheffel-Möser, 1990). Un des effets les plus directs de la prolifération de cette espèce est l'augmentation de matière organique particulaire dans la colonne d'eau (Gentilhomme & Lizon, 1998) mais également au niveau benthique (sédimentation).
La zone d’étude choisie pour ce programme concerne la zone côtière de la Côte d’Opale. L’essentiel des études et en particulier les études de terrain ont été faites sur le littoral boulonnais. En effet, cette zone est déjà étudiée depuis de nombreuses années par les partenaires du programme et fait partie des programmes d’observation (réseau SOMLIT, SRN…).
L’étude est constituée de plusieurs actions pouvant être séparées en trois objectifs complémentaires (détaillés ci après) :
- En amont du bloom de Phaeocystis : Même si ce programme n’est pas centré sur le declenchement du bloom, il apparaît nécessaire de connaître les facteurs responsables de ce déclenchement dans la zone d’étude. Ainsi, une étude sur les apports en terme de sels nutritifs sera menée.
- Pendant le Bloom de Phaeocystis : La caractérisation du bloom à méso-échelle (apparition, extension, durée) , si elle n’est pas l’objectif principal du projet, est nécessaire pour servir de base aux études spécifiques. C’est pourquoi nous proposons de suivre le bloom en terme de concentrations de sels nutritifs, de biomasse phytoplanctonique et de production primaire (14C). Des actions plus spécifiques de modélisation, cartographie par télédetection, mais également des effets de l’hydrodynamisme à petite échelle sur la dynamique de Phaeocystis seront menées.
- En aval du bloom de Phaeocystis : Les effets du bloom sur l’écosystème seront étudiés pour de nombreux compartiments (zooplancton, necton, benthos, macroalgues, bactéries).
L’équipe du laboratoire a été particulièrement impliquée dans la partie amont du bloom de Phaeocystis.
Le projet porte sur l’importance des apports continentaux en éléments nutritifs dans la dynamique du bloom de Phaeocystis. Cinq rivières du Boulonnais ont été échantillonnées (67 sorties hebdomadaires par rivières) en 2001 et en 2002 (Hébert et al., 2004). Télécharger le rapport
+ + + + +L’année 2003 a été consacrée à la réalisation de 16 jaugeages par rivières (Liane exclue) afin d’obtenir une estimation précise des flux en éléments nutritifs vers le zone côtière. Alors que les débits estimés par l’AEAP et la DIREN s’inscrivent dans une politique d’alerte de crue (station de mesures en amont), les estimations dans le cadre du CPER ont été réalisés selon une stratégie aval. L’ensemble de ce travail de jaugeage a été mis en œuvre en collaboration avec le SEMA-DIREN qui a également mis à disposition du laboratoire un logiciel spécifique de traitement des données de jaugeages (BAREME).
Cette approche a été complétée par un ensemble de transects réalisés selon un gradient de salinité 0 à 30 sur les 4 rivières en février, avril et juin 2003 afin d’appréhender l’aspect conservatif de la distribution des sels nutritifs en fonction de la salinité.
C’est lors de cette phase du CPER que l’Ifremer a procédé aux études nécessaires à l’implantation de la station de mesures automatisées à haute fréquence MAREL Carnot.