VARITROPH

La gestion actuelle des pêcheries, de par son objectif de mettre une œuvre une vision écosystémique requiert la connaissance poussées des interactions qui structurent le fonctionnement de l’écosystème, et notamment les interactions trophiques.

Dans la zone Manche Mer du Nord, les connaissances sur les principales espèces exploitées sont issues des campagnes halieutiques, organisées aux trimestres 1 (IBTS) et 3 (CGFS). Or, il est reconnu que pour de nombreuses espèces, il existe des variations saisonnières importantes de l’alimentation. De nombreuses espèces ont également une variation de leur alimentation au fil de leur vie (variation ontogénique). Dans les deux cas, ces variations sont liées à des différences d’accessibilité ou de disponibilité des proies, et également des besoins différents, par exemple avant ou pendant la période de reproduction. L’échantillonnage actuel ne permet donc pas de prendre en compte la totalité de cette variabilité. Par ailleurs, il existe un certain nombre d’espèces pour lesquelles les données sont nettement insuffisantes. Ces manques peuvent s’avérer problématiques, par exemple pour la mise en place des modèles multispécifiques tels que ceux utilisés par les équipes du laboratoire HMMN.Un effort certain de collecte de données biologiques concernant l’alimentation est donc nécessaire afin de mieux gérer leur exploitation.

Historiquement, l’écologie trophique des poissons est appréhendée par l’analyse des contenus stomacaux. Cette technique se base sur la détermination, la mesure et le décompte des proies retrouvées dans l’estomac des poissons. Le premier objectif de ce projet vise donc à exploiter les poissons déjà collectés chaque trimestre dans le cadre de la DCF pour la documentation des paramètres biologiques. L’échantillonnage large effectué dans ce cadre permettra de disposer de données actualisées et robustes sur les principales espèces d’intérêt halieutiques, et de combler les manques de connaissances évoquées ci-dessus. Plusieurs classes de taille sont collectées durant ces échantillonnages, ce qui permettra par ailleurs de bien prendre en compte la variabilité ontogénique de l’alimentation.

Cependant, de nombreux travaux ont montré les limites des contenus stomacaux, qui sont considérés comme apportant une vision « instantanée » et partiellement faussée de l’alimentation, les proies observées étant celles consommées peu de temps avant la capture, et dont la digestion est la plus longue. A ce titre, l’utilisation couplée des isotopes stables du carbone et de l’azote est un outil puissant pour l’analyse des relations trophiques. Cette technique se base sur le fait que la composition isotopique naturelle de l’alimentation est « enregistrée » dans les tissus d’un poisson. Par opposition aux contenus stomacaux qui informent sur les proies consommées dans les heures précédant la capture, les ratios isotopiques nécessitent un temps d’intégration, liée à la digestion de l’alimentation et à l’utilisation des nutriments ainsi obtenus pour synthétiser de nouveaux tissus. La vitesse de synthèse et le métabolisme de chaque tissu conditionnent le temps nécessaire à l’intégration de la signature isotopique de l’alimentation. En complément de l’analyse de l’alimentation « instantanée », il est donc intéressant d’analyser en parallèle les signatures isotopiques dans plusieurs tissus ayant des temps de synthèse plus ou moins rapide, afin de caractériser l’écologie trophique d’un poisson à court, moyen et long terme. Cette approche a notamment permis de mettre en évidence des changements rapides d’alimentation, détectés par une évolution de la signature des tissus à temps d’intégration court alors que les tissus à temps d’intégration plus long ne variaient pas.

Le deuxième objectif de ce projet vise donc à utiliser une approche combinant les analyses isotopiques dans plusieurs tissus (muscle, foie, colonne vertébrale) et ou plusieurs composés (acides aminés) afin de mieux caractériser les variations temporelles des paramètres trophiques. Ce deuxième volet, plus théorique, permettra notamment de s’interroger sur les différences de visions des paramètres trophiques liés à l’utilisation d’une méthode plutôt qu’une autre.